Actions culturelles et territoires ruraux.
Penser une politique culturelle en zone rurale nécessite d’analyser préalablement le rapport qu’ont les habitant·e·s de ce territoire à l’art et à la culture.
Dans le Saulnois (par exemple) la plupart des habitant·e·s sont très éloigné·e·s de l’art et de la culture pour de multiples raisons : habitudes, éloignement géographique, difficultés de déplacement, environnement social, ... D’ailleurs, les lieux dédiés à la culture sont essentiellement fréquentés par des personnes initiées. Dans ces lieux, la mixité sociale n’existe presque pas ou très peu. Une très grande partie de la population se trouve donc exclue pour des raisons socio-économiques mais aussi par une forme d’auto-censure. En effet, les personnes éloignées de la culture expriment souvent un fort rejet de la culture et de l’art contemporain. Cette réaction révèle une crainte : peur de ne pas comprendre, de paraître idiot, de ne pas posséder les clefs de compréhension, de ne pas être à sa place, ...
Pourtant, l’art et la culture sont de vrais outils d’émancipation citoyenne et de compréhension du monde. Il ne peut pas y avoir de citoyenneté sans partage des connaissances, sans accès aux savoirs, sans capacité à créer ensemble du symbolique. L’enjeu de la culture est celui de la démocratie.
La culture reste aussi le meilleur rempart contre l’isolement. Elle est génératrice de liens, de sens, d’ouvertures - surtout dans les périodes de repli sur soi.
Or, la culture est souvent considérée, par les collectivités, comme un outil de développement économique et touristique pour le territoire et rarement comme un facteur de développement personnel et d’amélioration de la qualité de vie pour les habitant·e·s. C’est donc presque exclusivement une offre tournée vers l’extérieur et rarement pensée pour les habitant·e·s des territoires.
Il y a, parallèlement aux structures culturelles qui travaillent quotidiennement sur le terrain avec peu de moyens au regard des enjeux, des programmations ponctuelles, très médiatisées, soutenues ou organisées par les collectivités. Ces programmations (souvent liées au spectacle vivant) sont consommées comme n’importe quel produit. Les œuvres sont oubliées aussi vite qu’elles ont été consommées, sans avoir d’impact, sans être signifiantes pour les individus. Elles sont faciles, consensuelles. Elles ont pour objectif de plaire au plus grand nombre. L’art ne doit pourtant pas faire l’unanimité. Au contraire, il doit inviter au débat, à la confrontation d’idées et aider à lutter contre l’uniformisation de la pensée. Ces programmations sont révélatrices d’une vision dépassée de la culture : réserver une culture ambitieuse pour une élite (plutôt urbaine) et une culture moins exigeante pour le reste de la population - celle des quartiers ou des zones rurales. Il n’existe pourtant pas d’art élitiste et inaccessible. Il n’y a que des publics mal ou non accompagnés ou éventuellement une programmation inadéquate.
Penser la culture en zone rurale demande de changer la vision habituelle de l’art, d’être inventif·ve·s et novateur·rice·s.
Lorsque le public est éloigné de la culture, il faut provoquer la rencontre - surtout parce que ce public ne viendra pas spontanément.
Il est alors nécessaire de créer des outils de médiation spécifiques, ajustés à chaque public et à chaque territoire. L’objectif est de mettre en place, pour chacun, les meilleures conditions pour réussir la rencontre. Les expériences sont parfois difficiles et il faut souvent les multiplier pour atteindre cet objectif. Mais c’est à ce prix qu’une rencontre entre des publics éloignés de la culture et l’art est possible.
Mais être inventif·ve·s et souples, avoir des projets innovants en adéquation avec un territoire et ses habitant·e·s ne suffit pas sans le soutien prononcé des collectivités.
Il est temps que les dispositifs culturels en matière d’égalité des territoires et d’accès à la culture soient plus volontaires, plus souples, plus réalistes. Les professionnel·le·s de la culture souhaitent que l’État et les collectivités s’emparent réellement de cette mission. C’est un enjeu de société et de justice sociale important - c’est tout simplement juste.
Si une politique de démocratisation culturelle demande une vraie réflexion et des engagements forts, elle demande surtout d’entrer dans une logique d’analyse des dispositifs. Il en faut réaliser des bilans réguliers. Si ces conditions ne sont pas réunies, il faut assumer d’avoir un art élitiste pour quelques-uns et un art au rabais pour les autres ou même pas d’art du tout.
La rencontre entre les publics éloignés de la culture et la création artistique contemporaine est le principal objet de réflexion et de travail de l’association plus vite, depuis sa création.
Ses outils, dispositifs et projets sont tous issus d’analyses et de diagnostics réalisés sur le terrain. Nourrie d’expériences de médiation innovantes - comme celles déployées depuis plusieurs décennies au Québec - c’est un savoir-faire que l’association a développé et approfondi au fil des années. Les résultats de ce travail de terrain sont très encourageants et prouvent qu’en matière de démocratisation et de partage culturel, il existe un nombre incommensurable de solutions.
Olivia Chaponet - 10/01/2023
Association plus vite